Ouest pour kill the dj, n’est pas un tournant (puisqu’on ne tourne pas selon le vent mais bien dans tous les sens depuis le début) mais un album marquant.
“Le fruit d’une belle rencontre” comme on dit dans les mauvaises feuilles de presse. Un album de folk sous tranxène, de (s)lo-fi, enregistré “à la maison” sur un 8 pistes analogique.
Codeine, un premier single sorti au printemps 2006 sur la compilation Dysfunctional family de Chloe et Ivan Smagghe constitua un premier choc. Très remarqué dans une compilation majoritairement electro, le blues lancinant de Codeine fut qualifié par la presse de “musique déviante, poétique et avant-gardiste”, et Jason de “velvet underground inspired”,“a kind of addict psychedelic sound”.
Drôle de mec que Jason. A des années lumières des producteurs avec lesquels nous travaillons habituellement. Un peu étrange. Habité par de vieux contes anglais où les protagonistes se font couper la tête et passent leur vie à la chercher. Né de parents anglo-americains, il se voyait cytologiste, mais la guitare le dévia de cette piste. Ses influences sont littéraires même en musique (Dylan,Cohen), “bibliques” comme il le dit lui-même (les pionniers du blues et de la country), voire “sidérales” (Sun Ra et Moondog). Et puis tout le pousse, dès sa plus tendre enfance, à dévorer les livres plutôt qu’à écouter des disques: Mark Twain, Barbey d’Aurevilly, Kerouac, Tristan Corbière... Adolescent, Jason se fait la main en faisant la manche dans le métro ligne 6. Le seul enregistrement de cette époque est perdu dans un bus. Il créera ensuite plusieurs groupes (The Dharma Bums, Les Gommes) qui imploseront après avoir écumé les bars parisiens et les pubs normands. Selon Jason, ses compositions de l’époque sont des “chansons amorphes, informes et puantes”.
Suivront des années de vagabondages en solitaire. Dublin, New York, Montreal... Il est déménageur, professeur de français, gardien de sapins, voleur, homme de ménage, clochard... fait la manche encore, donne des concerts dans des bars vides et vit de “rencontres”. Essoré, plumé jusqu’a l’os, il revient à Paris où il écrit deux albums (que l’on sortira un jour peut-être...) dont l’inénarrable The Tale of a Slippy Man : l’histoire de la chute d’un homme dans un trou.
Puis en 2006, Ouest. Enregistré sur un huit pistes analogique en quelques semaines seulement, cloîtré entre les murs de son salon parisien, le dos tourné au monde. Il y parle “envoûtements, sacs d’os, ronces, mirages, réflexions morbides et repli dans des images d’Epinal”. Pour Jason, si les textes frôlent parfois l’abscons, c’est que la primeur est donnée à l’ impression plutôt qu’au sens. Les chansons se veulent “visonnées”, et les sons participent de cet effet: “les tambours sont des chars à boeufs, les triangle des sonars, des point d’intersection, le sax & les flûtes des cornes de brume qui poussent des murmures d’animaux inconnus. Les voix féminines éclairent l’ensemble, ce sont des lampes, des femmes lampes”. Un univers mélancolique et inquiétant qu’il pare d’arrangements décharnés et habite de son timbre unique. La voix de Jason, traînante, épuisée, semble en effet toujours attirée par le mutisme, la tentation du silence. En douze titres qui revisitent de manière très personnelle et moderne les répertoires country, folk et americana, il traîne dans des contrées lointaines, à la découverte d’un ailleurs étrange et envoûtant. Sur le papier, il y a là du lycéen attardé, de l’ado enfumé... Jason s’en fout.
Quant à nous, avec un album comme celui-ci entre les mains, on se fout un peu de tout...